Les libertés d’expression et de recherche subissent, au sein du monde universitaire, l’affront d’une moraline ambiante, doublée de revendications communautaires permanentes de groupuscules autoproclamés « minorités ».
En décembre 2021, Klaus Kinzler, un enseignant de l’IEP Sciences Po Grenoble, a été temporairement suspendu au motif de « propos diffamatoires », après qu’il ait qualifié l’institution qui l’emploie de « camp derééducation politique », effectuant auprès des étudiants une propagande « woke ». Cette affaire n’était pas sans en rappeler une autre, plus ancienne. Le 27 octobre 2020, la faculté de droit d’Aix-en-Provence a été le théâtre d’une nouvelle insurrection « morale ». À l’occasion d’un cours portant sur la théorie générale des conflits de lois dispensé à distance devant près de 600 étudiants de master, une enseignante, faisant référence à l’assassinat de Samuel Paty, a tenu les propos suivants : « La décapitation du professeur d’histoire-géographie qui a dit et fait ce qu’il avait le droit et le devoir de faire, vient de là. On n’a aucune liberté de conscience en islam ! Donc, si on naît d’un père musulman, on est musulman à vie. Une sorte de religion sexuellement transmissible, je n’ai jamais compris. On dirait du judaïsme, c’est pareil, c’est par la mère. Une sorte de MST, de RST, religion sexuellement transmissible ». Une étudiante présente a enregistré et publié l’extrait sur son compte Instagram provoquant un véritable tollé au sein de l’espace public numérique. La Ligue des droits de l’homme, considérant ces propos comme « islamophobes » et « antisémites », a déposé plainte pour « injure raciale ». Le parquet de Marseille, quant à lui, a ouvert une enquête pour « injure publique ». Dans l’enquête menée par France 3 Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, l’enseignante se défend. Elle affirme, d’une part, que ses propos questionnaient la liberté de conscience, absente selon elle en islam, d’autre part, que les deux minutes publiées sur les réseaux sociaux constituent un extrait décontextualisé, issu d’une intervention d’un quart d’heure concernant un arrêt de la CEDH – Cour européenne des droits de l’homme – ayant pour objet un litige autour de la question du droit musulman et de l’héritage.
À la lumière de ces affaires, l’inénarrable question de la frontière entre liberté académique, liberté d’expression, prosélytisme et racisme est remise au-devant de la scène.
Dans l’un et l’autre des cas, les responsables des établissements interrogés s’accordent pour reconnaître l’importance du respect de la liberté d’expression dans le cadre des enseignements dispensés, dans les limites fixées par la loi. Précisément, la loi articule l’expression des idées et la protection des personnes, en ce sens que l’injure ou la diffamation sont par exemples proscrites. Une disposition plus vaste intéressant le monde universitaire existe concernant le fait de nier l’existence d’un crime contre l’humanité – le « négationnisme » -, qui est aujourd’hui, à tort ou à raison, pénalement répréhensible – une disposition issue de la loi GAYSSOT, votée en 1990. Il est donc possible de choquer, d’interroger toute notion d’un point de vue scientifique du moment que les frontières du négationnisme et de l’attaque à la personne – et non à la religion, le délit de blasphème n’existant plus en France depuis 1881 – ne sont pas franchies.
La liberté académique dans l’enseignement supérieur public consacre le principe de libre développement scientifique, créateur et critique. À ce titre, l’article L141.6 du Code de l’Éducation est admis par le Conseil Constitutionnel comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République depuis 1984. Cette liberté s’applique dans le respect de la laïcité et indépendamment « de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ».
Ainsi, si la justice devra faire toute la lumière sur la réalité ou non de la faute pénale en ce qui concerne ces affaires, leurs tenants et aboutissants mettent en lumière la nouvelle censure pseudo-morale qui s’abat sur le monde universitaire en même temps que sur la société civile.
En effet, ces évènements semblent constituer un témoignage supplémentaire de l’entrisme de la Cancel culture au sein du monde universitaire, que le Centre d’études républicaines comme d’autres structures s’attache à combattre. Faisons-nous face au retour de la censure ? Le Centre d’études républicaines s’inquiète de constater le recul permanent de l’expression de l’autorité savante. Les spécialistes sont aujourd’hui véritablement persécutés par les tenants d’un communautarisme larvé, encouragé par l’émergence des réseaux sociaux. En outre, le CERes condamne l’absence quasi-systémique de présomption d’innocence à l’endroit de professeurs systématiquement mis-à-pied. Troquer le savoir contre la paix sociale au sein des établissements ne sera pas sans lourdes conséquences sur l’existence de l’enseignement supérieur en France.
Plus largement, il convient d’interroger le sens même de l’enseignement public et de la recherche en France. Bien sûr, les enseignants ont un devoir d’exemplarité vis-à-vis des étudiants dans leur parcours intellectuel et citoyen. Mais leur rôle est avant tout de former les esprits de demain, de permettre à chaque étudiant de structurer sa pensée, de raisonner. Ils doivent permettre aux nouvelles générations de développer un véritable esprit critique, par le questionnement et la discipline scientifique. Dans cet apprentissage, toute bride est nécessairement funeste. C’est là toute la difficulté, face à des sujets sociétaux qui prennent une place prépondérante au sein des universités, pour le meilleur et souvent pour le pire.
Le Centre d’études républicaines entend prendre toute sa part dans le travail de renouvellement du débat scientifique et politique au sein du monde universitaire, qui nécessite un retour aux fondements qui ont permis la structuration d’un monde universitaire libre aussi bien dans sa recherche que dans son expression.